Naissance d'un Goncourt -Yann Queffélec
Quand j'ai vu ces deux bougies charbonner dans les ténèbres, je me suis demandé où j'arrivais ? Dans quel port inconnu j'allais devoir entrer à la voile, manoeuvrer à la voile et rien qu'à la voile, accoster en douceur ? Santander ? La Corogne ? Yeu ? Noirmoutier ? La Rochelle ? Je n'ai reconnu Belle-Isle-en-Mer qu'au dernier moment, à l'énorme silhouette oblique de la citadelle Vauban. On a déboulé vent arrière entre les deux môles à peine visibles sous la pluie rageuse, et j'ai viré de bord en catastrophe, suppliant Claudius de baisser la voile, de la tuer.
J'espérais ralentir le voilier, lui briser son élan, mais il a filé sur son erre entre deux yachts au corps-mort, deux ombres gesticulantes, et c'est le quai des visiteurs qui l'a fait s'arrêter - net ! avec un méchant bruit de ferraille disloquée. Pour morfler, il avait morflé ! Des échelons brillaient comme des yeux. Je suis monté sur le quai passer une amarre à l'anneau. A quoi pouvais-je penser ? Mes mains avaient doublé de volume, le vent m'incendiait les tympans.
J'étais sorti du monde civilisé où le mot Littérature a la moindre chance de vous choper au collet. Pourtant je n'avais pas la berlue, quelqu'un me tapait sur l'épaule et crevant les rafales j'entendais ces mots complètement nases, délivrés du nord, du sud, de tous mes fantasmes du moment : - Toi, chéri, tu as une gueule d'écrivain. " C'est ainsi que Yann Queffélec, 27 ans, rencontra Françoise Verny, papesse de l'édition.
Un hommage tendre et drôle au chemin que parcoururent ensemble ce jeune inconnu et cette femme aux excès aussi célèbres que ses intuitions. Un hommage à l'écriture, aussi, qui sait faire sa place dans la vie des écrivains par des voies parfois inattendues.